LETTRE OUVERTE A TOUS LES CANDIDAT-ES A LA PRESIDENCE DE RADIO FRANCE
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« Madame, monsieur, la grève des personnels de l’ORTF concerne tout le pays. La grève des personnels de l’ORTF vous concerne ! C’est un devoir pour vous d’éclairer vos électeurs sur les mobiles et les buts de notre grève. »
Tel est le début du fac-similé d’une adresse de l’intersyndicale de l’ORTF après la grève de mai-juin 68 qu’on peut voir aujourd’hui à la maison de la radio à l’occasion de l’exposition « Mai 68 à la Radio ».
La grève de 2015 à Radio-France a, elle aussi, duré 1 mois et au-delà des salariés a concerné le pays tout entier, comme un avant-goût amer du sort réservé aux services publics par des gouvernements successifs. La situation qui prévaut aujourd’hui dans l’entreprise, à la veille de la nomination par un CSA affaibli et déconsidéré d’un ou d’une nouvelle PDG, ne ressemble en rien à ce qui est décrit par les thuriféraires de l’apaisement retrouvé, du dialogue social renoué, en une novlangue entrepreneuriale et moderniste.
Madame, monsieur,
Vous êtes candidat(e) à la présidence de Radio-France aujourd’hui, et ne pouvez ignorer les attentes et les exigences de ses salariés.
Voici quelques thèmes que la CGT, premier syndicat de l’entreprise, a recensés comme prioritaires. Saurez-vous, voudrez-vous y répondre dans un véritable esprit de défense du service public de la radio et de ses missions ?
Les suppressions d’emplois : le non-remplacement des départs dits « volontaires » dans le cadre du COM de un sur deux pendant deux ans puis un sur trois la troisième année, et la baisse (toute relative) des CDD, au nom du « retour à l’équilibre financier », ont entraîné un assèchement des forces vives de la radio, avec pour conséquence l’impossibilité pour certains services de fonctionner normalement. De l’aveu même en comité central d’entreprise du PDG sorti, ce modèle (dont il faut rappeler qu’il l’avait signé à travers le COM) était parvenu à sa limite. Pourtant, les documents « fuités » de CAP 2022 issus du Ministère de la Culture prévoient des suppressions d’emplois supplémentaires dans l’audiovisuel public (non chiffrées).
La production : les conséquences sur la production sont directes. Simplification des formes, multiplication des émissions « de plateau », appauvrissement de l’écriture radiophonique, recours massif (nuits, week-ends, été) aux rediffusions, en particulier pour la fiction. Le tout aggravé par un chantier de réhabilitation erratique au coût non maîtrisé et aux conséquences catastrophiques sur la production et l’entreprise depuis 15 ans. Le coût final estimé va bientôt dépasser les 600 Millions d’euros et approcher le budget annuel de Radio France.
Les métiers : la signature du NAC, qui a entre autres transformé les métiers en une addition de fiches emplois dont certains s’emploient à charger la barque dans une course à l’échalote qui a plus à voir avec du clientélisme qu’avec l’action syndicale ; les références permanentes au « media global » style franceinfo :, sans moyens réels, sans définition précise des métiers de l’internet ; les injonctions paradoxales voire contradictoires des directions soumises au diktat de l’audimat, du clic et de la réduction d’effectifs, font que les personnels travaillent à flux tendu, sans reconnaissance réelle ou symbolique de leur travail, avec les conséquences prévisibles sur leur état de santé, les risques psycho-sociaux. Il en résulte des demandes de mobilité comme soupapes de sécurité, tant géographiques que définitives (ruptures conventionnelles qui génèrent elles-mêmes des suppressions de postes et accentuent le processus en cours).
Le dialogue social : au-delà d’une DRH exsangue et réellement « aux abonnés absents » quant à ses cadres, le malaise est plus profond. Du fait de la complexité des dossiers à traiter et des sous-effectifs (comparez avec FTV relativement aux effectifs), la souffrance au travail et les arrêts maladie n’ont jamais été aussi importants chez le personnel. Et loin d’une situation sociale apaisée, la réalité est tout autre : le titre CDDU du NAC n’a jamais été négocié en tant que tel, il a été « avalé » lors de la signature des deux seul titres négociés, celui des Personnels Techniques et Administratifs et celui des musiciens des Formations Permanentes. Il subsiste une gigantesque zone de non droit pour des centaines, voire des milliers de salarié-es au cachet qui font la radio tous les jours. Autre exemple : le chapitre « Dialogue social » n’est toujours pas négocié, cette direction étant « soucieuse » de s’inspirer des ordonnances travail pour réduire encore un peu plus les possibilités d’expression des salarié-es de Radio France par la suppression d’instances et d’élu-es et la réduction du nombre d’établissements régionaux de 7 à 2.
Certains secteurs sont des bancs d’essai d’opérations à la limite de la légalité (le télétravail à la documentation) sans doute dans la perspective d’un élargissement à d’autres secteurs (la production) pour s’affranchir enfin du respect du temps de travail, de l’organisation du travail et des problèmes d’espace liés au chantier. Pour finir : multiplication des sanctions disciplinaires injustifiées dans certains secteurs (Délégation accueil et sécurité pour ne pas la nommer).
Les régions : là aussi la situation n’est pas plus brillante. Les radios locales ont leurs effectifs « à l’os », tous personnels confondus, et peinent à pouvoir assurer leur mission de proximité. Cerise sur le gâteau : le déploiement des « outils » Concur et Sineo et les conséquences en terme de risques psycho-sociaux et d’épuisement professionnel sur le travail pour les agents de gestion.
Les projets de rapprochement des Bleu avec FR3, dans un premier temps pour des matinales, au prétexte du media global, ne sont pas pour rassurer les personnels, surtout si c’est à la sauce franceinfo : radio filmée ou télé parlée, non budgetée au lancement, bricolée après. Quant à FIP, la « plus qu’éclectique », elle est menacée de casse dans son animation locale, malgré le soutien répété des auditeurs, des acteurs culturels en région et des élus locaux.
L’information : Il n’y a pas qu’en région que les projets de rapprochement ou de fusion inquiètent les salariés. Ceux concernant les services Etranger des chaînes nationales menacent la spécificité des infos chaîne par chaîne. Après les services des sports, les services Etranger, il n’y a aucune raison que ce mouvement de fusion des rédactions nationales s’arrête si les journalistes ne s’y opposent pas. Des services fusionnés posent le problème d’une uniformisation encore plus grande de l’information sur nos différentes chaînes. Le mode de fonctionnement qui tend à s’imposer, comme on le voit déjà avec le service des sports, est celui de l’information en continu. La notion même de rédaction, collectif en capacité de discuter du traitement de l’ensemble de l’actualité, disparaît au profit de services qui deviennent prestataires des chaînes. Le problème des précaires est latent. Les rédactions ne peuvent plus fonctionner sans le recours permanent et abusif aux CDD et pigistes. Au lieu de mettre fin à cette précarité en recrutant en CDI, Radio France prétend réduire le taux de précarité en taillant dans les budgets piges et CDD, contrevenant aux préconisations de la médiation de 2015, qui enjoignait Radio France à privilégier la création de "brigades" en CDI.
Les orchestres : alors que le Conseil d’Administration de Radio France a validé le maintien des 2 orchestres et du Choeur avec baisse sensible d’effectif, le document du Ministère de la Culture, CAP 2022 page 27, annonce au titre de « piste de réforme » : « réforme des modes de production à Radio France et reconfiguration des orchestres ». Les engagements de l’Etat ont-ils encore un sens ?
Madame, Monsieur,
Confronté-e à toutes ces questions, vous ne resterez peut-être pas suffisamment longtemps en poste pour tenter d’y répondre, ainsi qu’aux aspirations des personnels, car dans le cadre d’une refonte profonde de l’audiovisuel public, dont nous espérons qu’il ne représente pas pour vous « la honte de la république », c’est tout le mode de gouvernance que le gouvernement prévoit de changer selon un calendrier bien entendu jupitérien.
Néanmoins nous vous demandons, à vous candidat-e au poste de PDG de Radio France, d’intégrer ces graves préoccupations dans le projet que vous allez présenter au CSA, car tout projet qui n’en tiendrait pas compte ne pourra que conduire à la destruction du service public de la radio.
Alors, Président-e un jour, Président-e toujours, rappelez-vous que pour la CGT
LE SERVICE PUBLIC DE L’AUDIOVISUEL, ÇA A UN COUT MAIS ÇA N’A PAS DE PRIX !
SOYONS REALISTES DEMANDONS L’IMPOSSIBLE !
Le 4 avril 2018