Syndicalisme fiction Votre journée de travail du 10 février 2024 Feuilleton

vendredi 21 février 2014
par  Catherine HAMAIDE
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Deuxième épisode : la matinée

Aujourd’hui, José-e, vous êtes arrivé-e à l’heure car votre vieil ami Lucien, en congé aujourd’hui, et qui a la chance d’avoir une place de parking (vous préférez ne pas savoir comment, car les tarifs exorbitants depuis la privatisation rendent le parking inaccessible au
commun des mortels) vous a prêté son badge. Il y a bien un petit hic ; les seules places encore disponibles sont situées au niveau -5,
habituellement humide, voire inondé, et le vigile vous a fait signer la décharge stipulant que le concessionnaire ne peut être tenu pour
responsable des dommages subis par votre véhicule en cas de montée des eaux.
Un peu morose, vous poireautez devant la batterie d’ascenseurs de la rue traversante (finalement rebaptisée traverchiante par de
mauvais esprits) censée vous emmener en un éclair au paradis des bureaux de la Tour, pour rejoindre votre poste de travail de la matinée.

L’un des ascenseurs est à nouveau en panne, vous êtes environ trente personnes à attendre et les signaux lumineux ne vous laissent pas espérer de départ avant plusieurs minutes. Préoccupé-e par vos problèmes de transport dans la NMR (la nouvelle maison de la radio,
comme il convient de l’appeler aujourd’hui), vous envisagez de repartir par une radiale et de remonter par un ascenseur pour rejoindre la
seule passerelle finalement construite en 2018 sur les 5 prévues initialement pour relier la grande couronne à la tour. Mais elle est
difficile d’accès car il faut badger. Elle est réservée aux journalistes qui rejoignent, depuis leurs open space du front de Seine, les studios
mutualisés pour faire les infos en semi direct.

Les studios d’antennes des différentes chaînes ont été les premiers à être concédés à des radios privées ou à des boites de production dans la publicité pour des raisons d’économie.
Il ne reste donc que 3 journaux en direct, matin, treize heures et début de soirée. Pour le reste ce sont des flashs de 3 minutes issus du
fil audio des agences de presse, préenregistrés et modifiés seulement en cas d’info très importante. Avec ça, la moitié des technicien-nes a pu être redéployée vers d’autres activités, pour la plus grande satisfaction de l’équipe dirigeante qui ne cesse de s’en vanter.

Finalement vous abandonnez le scénario passerelle et attendez patiemment une embellie côté ascenseur pseudo TGV. Vous en profitez
pour jeter un oeil sur ce qui se passe dans la traverchiante. À cette heure, pas encore grand monde, un petit groupe se prépare à aller
assister à une émission publique et fait le tour des boutiques à peine ouvertes : restauration rapide, magasins de fringues de marque, librairie (sur le point de fermer car on rentable) téléphonie et informatique, billetterie de spectacle, de train, d’avion, Française des Jeux, deux agences bancaires, café Internet, photomaton en 3D, le petit stand des « produits Radio France », celui des dédicaces
vedettes, vide à cette heure-ci, les cafés branchés, le studio école, l’aire de simulation d’émission... Ah si, vous apercevez votre collègue, Dominique, accompagné-e du stagiaire et tentant avec peine d’encadrer un groupe scolaire venu pour sa journée « initiation aux langages radio/vidéo ».

Dominique a en bandoulière un enregistreur numérique et, à la main, une perche de reportage. Quant au stagiaire, il vérifie l’état des accus de sa caméra. Vu la taille du groupe, c’est 3 personnes au moins qu’il faudrait pour l’activité, dont une personne formée à l’animation. Vous saluez Dominique de loin, en pensant que c’est vous qui serez à sa place cette après-midi.

Après votre arrêt maladie consécutif à du stress au travail, votre responsable Franckie vous a en effet instamment conseillé
d’abandonner votre plein temps dans la même activité. Vous avez dû vous reconvertir dans 2 activités (« pôle de qualité », c’est le nouveau
terme utilisé par la hiérarchie). Il y a belle lurette qu’avec l’arrivée du NAC, les notions de métier, qualification ont été rayées du vocabulaire de l’entreprise, alors que « polyvalence », employabilité », « réactivité »
sont à la mode. On a même vu apparaître dans la presse patronale le vocable « multipétance », sorte de condensé entrel’ appétance pour les tâches à effectuer et la polyactivité. Aux dernières nouvelles, la DRH
est en train d’essayer de faire inscrire cette notion comme critère classant supplémentaire.
Vous devez donc répartir votre semaine de travail en deux parties. Le matin, vous êtes technicien-ne de gestion en production, dans une petite cabine située en partie basse d’un étage élevé de la tour et l’après-midi, aspirant cadre de production, et à ce titre, après les plus
ou moins amicales pressions de votre responsable, chargé d’animer les activitésenf antines organisées dans le cadre culturel de la maison de la radio. C’est à cette seule condition que vous pouvez tenter de retrouver votre statut de cadre perdu au moment du passage au NAC. Eh oui, vous faites partie des « rétrogradé-es » du NAC (« cadre aujourd’hui, technicien-ne demain ») et on vous le fait bien sentir.
Pour toute formation, vous avez eu droit à une journée à Campus avec un animateur qui vous a montré sommairement le fonctionnement
d’un enregistreur audio. Quant à la vidéo, malgré les demandes, la hiérarchie n’affecte personne, par manque de moyens, et a trouvé
la solution des stagiaires.

Un miracle, l’ascenseur TGV finit par arriver plus vite que prévu et vous emmène, allure omnibus, jusqu’à votre « espace bureau ». Ah, vous constatez que votre plante est définitivement crevée, la 8ème en 2 ans, le marchand de fleurs vous avait pourtant certifié que c’était le meilleur dépolluant. Tout en vous acquittant de votre travail du matin, la gestion 2ème degré sur la rentrée des produits dérivés de la chaîne Internet jeunes (rebaptisée le VROOOM, quand le Mouv’ a été enterré sous le règne de Jean-Luc Hees), vous vous posez des questions quant à votre environnement et votre santé. Si les formaldéhydes ont fini par être éradiqués au bout de 10 ans dans les espaces de travail, la teneur en CO2 n’a cessé de s’élever. La ventilation et le soufflage mal conçus, sous-dimensionnés dans la NMR ont fini par rendre l’âme. Les réparations se font au compte-gouttes à cause de leurs coûts
exorbitants, par rotation selon les services (une année toi, une année moi, une année elle).

Bonjour allergies, rhinites, yeux qui pleurent et autres infections des voies respiratoires. Alors, pour avoir de l’air, on entrouvre les portes
(c’est interdit, « ça dérégule ») et parfois certaines fenêtres (quand elles peuvent s’ouvrir), au risque, si on est surpris, d’être sanctionné par la « brigade incendiaire de sûreté » qui a remplacé la sécurité-incendie, un service externalisé, assuré par une société privée formée par les pompiers de Paris et dépendant du ministère semi privé des armées.

Tout en toussotant et en vous frottant les yeux, vous parvenez à tenir votre rythme de croisière jusqu’à l’heure méridienne, n’échappant pas au regard vigilant de Frankie depuis sa passerelle qui surplombe votre bureau. Vous verrouillez votre ordinateur, rangez vos affaires, balancez votre ficus à la poubelle et partez déjeuner.

À suivre

Toute ressemblance avec des personnes futures est fort probable...si on laisse faire !

Votez CGT les 11 et 12 février pour échapper à cette perspective effrayante


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